Ma bibliothèque numérique, une lecture en spectateur

Karl faisait le point récemment sur les différents systèmes électroniques portables de lecture (il ne mentionne pas électronique, mais il ne parle pas des livres :-)) :

Je regarde de nombreux systèmes portables de lecture (tablette, ereader, etc.). Aucun n'a encore été capable de me séduire. Entre options manquantes et options superflues ou ennuyeuses, je n'arrive pas encore à faire le pas. Ce billet pour me permettre de clarifier ce que je n'aime pas et ce que je désire dans un appareil mobile me permettant d'être actif autour de la lecture, ainsi que les services offrant des textes au format numérique.

Il s'en suit une liste de points négatifs et de désirs en relation avec cette optique ; j'y apporte mon complément :

e-ink, le scintillement du passage entre chaque page
Quand on lit un livre, on n'est pas gêné outre mesure par cette page qui passe devant nos yeux à chaque fois qu'on la tourne ; dans le fil de la lecture, cet artefact visuel est ignoré. Pour l'e-ink, c'est pareil. A partir d'une certaine célérité de rafraichissement de la liseuse, on ne remarque plus ce "scintillement" (difficile de parler de scintillement quand il n'y pas d'agression lumineuse).
Les systèmes de protection des textes (DRM)
Le débat peut être long. Au final, jamais un DRM ne m'a jamais vraiment empêché de profiter d'une œuvre. Du matériel Apple oui par contre.
Les interfaces qui copient la métaphore des pages avec les ombres, les pages que l'on tourne, les bibliothèques en pixels de bois
Ajouter de faux ombrages pour indiquer une reliure qui n'existe pas, exhiber des couvertures comme en tête de gondole, rajouter une animation à chaque mouvement de "page" : je suis bien forcé de dire non là aussi...
Le poids de certains appareils (ipad par exemple)
En même temps, l'iPad est conçu pour les américains bedonnants vautrés dans leurs canapés, le poids est peu important.
La dépendence par rapport à un service unique en ligne
Si le service est bien fait et propose tout ce qui m'intéresse : pourquoi pas. Mais c'est évidemment complètement utopique.

Quelques divergences donc, principalement sur l'e-ink. J'avais moi aussi cette réticence initiale par rapport ce clignotement, mais après quelques milliers de pages lues sur de l'e-ink, force est de constater que :

  1. le cerveau sait parfaitement faire abstraction de ces petits désagréments
  2. il est beaucoup plus adapté de lire un roman sur un écran de 15cm de diagonale (6", standard liseuse électronique, proche livre de poche) que 8,9cm (3,5", standard PDA/téléphone intelligent)
  3. il est toujours illusoire de vouloir lire du contenu mis en page au format magazine sur une liseuse électronique type iPad (24,6cm de diagonale, mais résolution largement insuffisante)
  4. on peut lire des heures durant sur de l'e-ink sans fatigue visuelle, ce qui n'est pas le cas sur des écrans rétro-éclairés (LCD, super-LCD, OLED, AMOLED....)
  5. il est quand même bien agréable de pouvoir bouquiner dehors au soleil, ce que ne permettent pas ces mêmes écrans rétro-éclairés

Là où les vrais divergences arrivent, c'est en effet sur les désirs de Karl. Apparemment, nous n'avons pas les mêmes valeurs (et je tiens à faire remarquer que les rillettes du Loir-et-Cher sont bien meilleures que celles du Mans).

Annoter les textes de commentaires, notes, images au sein du texte.
Je n'annote jamais mes livres, jamais. Pas un coup de surligneur, pas un trait de crayon, rien. Je ne corne pas plus les pages que je ne casse la reliure. Alors où sont mes notes ? Ailleurs, en parallèle, référencées. Cela pourrait passer pour du fétichisme de l'intégrité de l'objet, et quelque part, ça en est peut-être. On pourrait aussi arguer qu'il est limitant de ne pas avoir dans un espace le texte et les notes. Tout dépend de l'objectif qu'on met dans cette prise de notes, si l'on travaille à partir des notes ou qu'on repart du texte. Sautons les autres désirs liés aux annotations.
Sélectionner et partager une partie du texte par mail, ou autre système de communications avec les références du texte (titre, auteur, etc.)
Deux parties dans ce désir : la transmission électronique d'un extrait, et la normalisation du référencement. Autant la deuxième partie est intéressante (mais forcément technique, et déjà que les néo-auteurs qui n'ont pas besoin du "système" n'arrivent pas à faire une mise en page et encore moins à éprouver le besoin de passer par un correcteur, alors demander de fournir des informations permettant un référencement !), autant pour la première je suis plus circonspect. Il ne faut pas avoir peur de devoir taper ce qu'on l'on souhaite transmettre, ça permet de relire plus précisément, de corriger les éventuelles fautes et peut-être tout bêtement de renoncer à cette transmission.
Recherche plein texte à travers tous les livres contenus dans l'appareil et/ou un serveur associé à cet appareil.
Cela peut être intéressant, mais au final ? C'est un désir fortement lié à une exploitation technique d'un texte, et dans cette approche, il y a pour moi nécessité d'avoir un véritable périphérique de saisie riche à proximité immédiate, et de l'environnement de travail qui va avec. Je ne demande pas ça à une liseuse.
Échange de mon livre papier contre la copie électronique de ce même livre sans avoir à le racheter
Bon. Comment ne pas être d'accord ? (Ou au minimum avec un prix réduit)
Système de backup (normalisé) sur un ou plusieurs disques/serveurs externes
Je serais tenté de dire bof. C'est petit de dire bof, et pas très explicite. Une différence entre le numérique et le physique est que l'on est culturellement plus incliné à se soucier de la préservation de nos biens physiques, plus facile à appréhender, plutôt que de nos biens numériques. On va faire attention à ne pas diminuer la beauté éclatante d'un produit Apple, alors qu'en fait il a strictement la même valeur d'usage complètement cabossé et taggué. On va se plaindre de s'être fait voler son iPhone alors que : 1. c'est bien fait, 2. ce n'est pas grave, tu as les moyens de t'en payer un autre, 3. toutes les données sont synchronisées dans iThunes (si l'effort de préservation des données numériques est bien conduit). Il n'en reste pas moins que l'organisation de nos biens physiques est éminemment plus facile à appréhender. Pour en revenir au sujet, si on normalise le système de backup maintenant, on perd une nouvelle chance de sensibiliser les gens à propos de ce sujet. Pour les autres, il reste la DeathCapsule de toute manière.
Système de commercialisation afin de pouvoir revendre le livre à une autre personne en P2P ou à travers des sites d'échanges. Chaque revente permet de verser une somme à l'auteur. (Tout le monde devient libraire).
C'est une idée intéressante, mais difficile à mettre en œuvre sans DRM :-D
Possibilité d'échanger deux textes entre appareils de deux personnes.
Haaa, le fameux squirt du Zune.
Une offre beaucoup plus large de livres. (L'offre de la littérature francophone est pitoyable dans les titres classiques.)
Pourquoi seulement dans les titres classiques ? Il existe un vrai travail à fournir, et il est sûr que la dispersion des énergies n'aide pas.
Mettre sur le même écran côte à côte, deux sections du même texte ou de deux textes différents.
Je préférerais surtout deux écrans en mode "livre".
WIFI
Bof (oui je sais, encore). Quand je lis, je veux me déconnecter (au sens pré-internet du terne). Je ne veux pas d'un périphérique en réseau.
Programmer le système (python, etc.) pour travailler sur les textes ou associer des scripts (bookmarklet)
On rappelle que les périphériques Sony (et d'autres) sont en Linux et qu'on peut les flasher :-)
Unité de stockage rapide comme clé usb
Je préfère encore que mon périphérique puisse lire nativement une carte mémoire externe.
Avoir un serveur Web dans mon appareil que je peux accéder par un réseau local grâce à une autre machine (configuration d'ACL possibles)
Je propose de souder un écran LCD à une SheevaPlug. Comment ça on s'éloigne de l'idée de la liseuse électronique ?

Et je laisse le dernier désir en suspend, on aura bien compris les divergences :-) Que peut-on en déduire au final ? Tout simplement qu'il y a plusieurs publics pour ces périphériques, et que je ne suis pas certain qu'un seul périphérique puisse satisfaire pleinement ces différents publics, ces différents usages.

Comments

1. On Saturday 23 October 2010, 23:00 by karl

crès crès bon.

Pour le scintillement (je n'arrive pas à trouver un autre terme), tu as probablement raison que l'on doit pouvoir s'y habituer. L'autre enjeu est la notion de page. Dans un livre papier, cette attente de tourner la page plutôt que de suivre le texte en continu me dérange aussi. Ce n'est pour moi que la prolongation qui m'ennuie déjà ailleurs dans le monde physique. :)

Le DRM est de ne pas avoir à être bloqué pour une personne sans compétences techniques particulières pour transporter une œuvre d'un support à un autre. Les DVDs demandent parfois des acrobaties, je n'ai pas envie d'avoir le même temps perdu de chat et la souris.

Annotations. Notre position n'est pas irréconciliable. Avoir l'option ne veut pas dire que tu vas annoter, tout comme le livre papier. Certains vont mettre des notes, d'autres pas. Pareil pour le partage.

Recherche pour moi tient de l'exploration et de la possibilité de voyager de nouveau dans des textes. « ah oui je me souviens de blah dans xxx » Et je veux retrouver la référence. Aujourd'hui pour faire cela j'utilise souvent Google Books. Des textes ont des vies multiples, pas celles uniquement d'une lecture dédiée pour un moment donné. Mais parfois on veut pouvoir lier un passage de Bachelard sur l'analyse poétique de l'eau à un autre livre, car nous avons fait la connexion. Là encore, ce n'est pas une obligation, c'est une possibilité.

Le système de backup n'est pas assez clair dans mon texte initial. Je doute pouvoir mettre les 1000+ livres physiques que j'ai en face de moi dont de nombreux livres photos sur une liseuse. Je pourrais faire le choix de m'en débarasser. Je peux aussi vouloir les conserver et placer cela sur un serveur. Le backup me permettant de changer de matériel, de gérer ce que je mets sur la liseuse quand je suis hors connexion, etc (d'où le wifi plus tard dans mon billet en plus du partage des annotations).

Déconnexion. Oh que oui. tout à fait d'accord avec cela. L'un n'empêche pas l'autre, contrôle de soi.




2. On Tuesday 26 October 2010, 22:41 by Damien B

La notion de page ne me gêne pas plus que ça. Peut-être parce que je suis plutôt du côté manufacturier de la force, et que la discrétisation ça me parle plus que le continu. Du coup, je préfère le tourne-page au scrolling.

Pour les annotations, je ne suis pas sûr de la réconciablité actuelle de nos positions, mais j'insiste sur le "actuel". Sur aucun des périphériques que je vois, la possibilité de saisir confortablement des notes (ie. avec un vrai clavier) ne peut se faire sans détriment pour l'aspect physique de la lecture. Donc comme je n'en ai pas besoin, je préfère un périphérique qui n'en donne pas la possibilité.

Recherche, exploration, backup, etc... est-ce que je le veux véritablement sur ma liseuse ? Pas si ça vient au détriment du confort de lecture. On en revient au clavier, à cette nécessité de la saisie pour les autres usages : donc je n'en veux pas :-)

Pour les DRM, il faut savoir si on veut gérer la notion de prêt ou pas. Si c'est oui, alors il faut de la gestion des droits ; si on ne gère pas les droits, alors tout n'est que don. Mais ça ne cadre pas trop avec un système économique (sauf le mécénat et la publicité évidemment).

Pour la déconnexion, le contrôle de soi, ça ne marche pas. La preuve : ça fait deux semaines que je regarde des テレビドラマ.

They posted on the same topic

Trackback URL : https://www.cynicalturtle.net/kame/trackback/1428

This post's comments feed