Avocat : Régis Turrini

Notre sophiste du jour s'est illustré dans Libération, dans un article sobrement intitulé Le Roi-Soleil patauge chez l'Oncle Sam. Maître Turrini nous explique que les français, tous guindés de leur supériorité intellectuelle et culturelle, sont en fait trop arriérés pour comprendre les américains. La démonstration en elle-même est assez éblouissante. Morceaux choisis.

Il en résulte la conséquence que l'analyse, qui s'inspire d'une seule valeur, la pax europeana, en néglige d'autres et choisit une interprétation parmi d'autres. En particulier, la dimension tragique de l'Histoire est niée par la lecture française des événements.

Ce paragraphe arrive après l'explication montrant que la paix européenne (qui s'arrête par ailleurs bien vite, voir l'ex-Yougoslavie, la chute du mur de Berlin, l'Irlande du Nord, le pays Basque, etc...) est tout sauf une évidence, et que nous l'avons d'une part oublié, et d'autre part que nous sommes incapables de penser hors de ce cadre. Ceci nous mène donc à "nier la dimension tragique de l'Histoire"... c'est-à-dire ? Les français voient les millions de morts de la première Guerre Mondiale comme les prémisses des garden-parties Elyséennes ? Les collabos comme les ancêtres des CRS, ces joyeux loufoques aux parties de tarots endiablées ? Les KZ comme un exemple pour les centre aérés ? Quelle est cette "lecture française" dont maître Turrini nous parle ? Et ça continue.

Face à la violence, la France demeure stupéfaite, hébétée. Elle n'accepte pas la réalité dans sa nudité sauvage, elle ne peut pas se borner à constater. On veut se rassurer contre la brutalité des faits, mais les faits sont angoissants. On s'en épargne le poids en se réfugiant dans l'univers sécurisant des certitudes de l'idéal démocratique.

Hébétée on vous dit, pendant les attentats islamistes en France, nous sommes restés terrés, attendant sagement que les méchants terroristes reviennent à la raison et respectent nos processus démocratiques, bien sûr. Là encore, quelques exemples auraient été bienvenus, surtout en cette période de procès au sujet des écoutes téléphoniques de l'Elysée, et quelques années seulement après des barbouseries ratées en Corse, et quelques jours après des négociations opaques pour libérer Chesnot et Malbrunot. Et que dire des discussions autour de la constitution Européenne, de la Turquie ? Où est l'idéal démocratique ? Dans la minorité de blocage ou dans les lois passées en sous-marins (un grand merci à la Pologne) ? Nul n'a oublié que la démocratie est un exercice de pouvoir et de contres-pouvoirs, et en tant que tel est en déséquilibre permanent, en quête de soutien, et parmi ceux-ci, la force.

Bref, il y a tout lieu de penser que la différence entre l'Amérique et la France ne cessera de se creuser à en devenir insurmontable. Cette idée représente d'ailleurs déjà l'opinion de la plupart des Européens, et on y sent percer tout le dépit des anciennes puissances coloniales qui sont obligées d'admettre que le peuple qu'elles ont engendré porte en lui quelque chose sur quoi elles ne sauraient avoir aucune prise.

Nous en arrivons à l'argument ultime des sophistes (d'ailleurs repris très souvent par nos collègues libertariens) : les autres ont compris ! Combien ? On s'en fiche ils ont compris et pas nous, c'est un fait. N'espérez pas trouver le début d'une quantification, la référence d'une quelconque étude, les moulins à vent n'ont pas besoin de tout ça pour fonctionner. L'autodestruction se poursuit avec cette référence au passé colonial, ce qui se rapporte particulièrement mal au cas des relations franco-américaines. Les colonies françaises sur le territoire Nord-Américain avaient en effet peu de choses à voir avec les colonies africaines ou asiatiques, celles-là mêmes qui représentent à la fois la puissance coloniale, et à la fois les conséquences de sa disparition : guerres, pauvreté, abandon (tout ça dans le cadre de la "lecture française des événements" bien évidemment). Ceux qui sont concernés par cet argument colonialiste sont les anglais. Mais, heureusement pour eux, ils ne sont pas français, donc ils savent, du coup ils ne sont plus concernés par l'argument. A moins que l'auteur ne les considère pas comme des Européens ? On pourrait continuer encore longtemps, mais terminons sur cette phrase.

Mais tant que les Français s'imagineront qu'il n'existe qu'un seul type d'homme civilisé, qu'il n'y a qu'un Occident, nulle entente ne sera possible.

Les français, qui c'est bien connu, tentent d'imposer leur modèle de civilisation à l'étranger à l'heure actuelle, leur Code Civil, leur modèle institutionnel et tout ça tout ça. Quand on arrive à ce degré d'obscurantisme anti-français, ce n'est même plus de la mauvaise foi.