Mini lecture du traité simplifié de Lisbonne

Suivant Eolas reparti en croisade contre les nonistes de tout poil, je me suis que j'allais lire le mini traité simplifié de 274 pages, histoire de voir de quoi il en retourne, même si je n'ai sans doute pas le M2 spécialisé(?) nécessaire pour le faire. Le traité peut-être téléchargé en PDF très simplement ici.

Deux remarques pour commencer. Tout d'abord, la France a en commun avec la Roumanie, la Lituanie et la Lettonie le fait que ce sont les seuls pays à être représentés par le président, le chef du gouvernement et le ministre des affaires étrangères. Sans doute parce qu'ils n'ont pas confiance dans leur ministre des affaires étrangères ? Deuxième remarque, la lecture devrait être simple, vu que le traité a vraiment été simplifié : il ne reste que deux articles modifiants les traités existants. Bon, le premier fait 32 pages, et le deuxième 92, mais il faut voir le bon côté des choses.

En introduction, le but du traité : "SOUHAITANT compléter le processus lancé par le traité d'Amsterdam et par le traité de Nice en vue de renforcer l'efficacité et la légitimité démocratique de l'Union et d'améliorer la cohérence de son action, SONT CONVENUS de modifier le traité sur l'Union européenne, le traité instituant européenne et le traité instituant la Communauté européenne de l'énergie atomique". Premier objectif : renforcer l'efficacité et la légitimité démocratique de l'Union. Deuxième objectif : améliorer la cohérence de l'action. D'ailleurs, citons Eolas pour les choses à retenir dans le traité : "les domaines réservés, la subsidiarité, les clauses passerelles, les seuils de majorité qualifiée, le partage des compétences entre le président de l'UE, le président de la Commission, et entre le ministre des affaires étrangères et le conseil des ministres des affaires étrangères". Tout cela semble bel et bien relever des deux objectifs.

Et on attaque, article premier, 1.a :

le texte suivant est inséré comme deuxième considérant:

«S'INSPIRANT des héritages culturels, religieux et humanistes de l'Europe, à partir desquels se sont développées les valeurs universelles que constituent les droits inviolables et inaliénables de la personne humaine, ainsi que la liberté, la démocratie, l'égalité et l'État de droit;»;

C'est très beau, presque lyrique, un peu romantique. Alors, est-ce que ça renforce l'efficacité de l'Union ? Est-ce que ça renforce sa légitimité démocratique ? Est-ce que ça améliore sa cohérence dans l'action ? Le "S'INSPIRANT" vient en deuxième position du texte original, c'est-à-dire entre "RÉSOLUS" et "RAPPELANT" (à part le nouveau considérant, pas d'autre modification dans cette partie) :

RÉSOLUS à franchir une nouvelle étape dans le processus d'intégration européenne engagé par la création des Communautés européennes,

RAPPELANT l'importance historique de la fin de la division du continent européen et la nécessité d'établir des bases solides pour l'architecture de l'Europe future.

CONFIRMANT leur attachement aux principes de la liberté, de la démocratie et du respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'État de droit,

Avec le mini traité simplifié de Lisbonne, on spécifie donc que les droits de l'homme, la liberté, la démocratie, l'égalité et l'État de droit nous viennent des passés culturels, religieux et humanistes de l'Europe ; et deux considérants plus tard, on confirme notre attachement à ces principes, sauf celui d'égalité (qui reviendra plus tard, à l'article 1bis). Une question se pose : est-ce qu'on avait besoin de cette modification pour remplir les objectifs du traité ? Ou il est juste là pour rajouter au prémabule un considérant bisounours qui dégouline le politiquement correct, et dont le seul but est d'empêcher la lecture ?

Soyons forts, continuons. Une page plus loin :

Un article 1bis est inséré:

«Article 1bis
L'Union est fondée sur les valeurs de respect de la dignité humaine, de liberté, de démocratie, d'égalité, de l'État de droit, ainsi que de respect des droits de l'homme, y compris des droits des personnes appartenant à des minorités. Ces valeurs sont communes aux États membres dans une société caractérisée par le pluralisme, la non-discrimination, la tolérance, la justice, la solidarité et l'égalité entre les femmes et les hommes.»

Tiens, au grand jackpot bisounours on a gagné la dignité humaine (les néerlandais vont apprécier), la solidarité (c'est les britanniques qui vont faire la tronche) et la tolérance (prenez ça dans la tronche les flamands !). En tout cas, heureusement que l'Union n'est pas fondée aussi sur le respect de la dignité animale, on va pouvoir continuer à diffuser des photos de chats. Un peu plus loin, dans le nouvel Article 2, alinéa 3 :

3. L'Union établit un marché intérieur. Elle œuvre pour le développement durable de l'Europe fondé sur une croissance économique équilibrée et sur la stabilité des prix, une économie sociale de marché hautement compétitive, qui tend au plein emploi et au progrès social, et un niveau élevé de protection et d'amélioration de la qualité de l'environnement. Elle promeut le progrès scientifique et technique.

Elle combat l'exclusion sociale et les discriminations, et promeut la justice et la protection sociales, l'égalité entre les femmes et les hommes, la solidarité entre les générations et la protection des droits de l'enfant.

Elle promeut la cohésion économique, sociale et territoriale, et la solidarité entre les États membres.

Elle respecte la richesse de sa diversité culturelle et linguistique, et veille à la sauvegarde et au développement du patrimoine culturel européen.

On aura rarement vu pamphlet anti-libertarien plus violent. Une interrogation sur cette Union qui combat, la phrase laisse sous-entendre que l'Union agit directement, pourtant je n'ai pas vu souvent l'Union dans le métro combattre l'exclusion sociale ; elle était peut-être déguisée en Adriana Karembeu. Bref, comment cet alinéa participe au renforcement de l'efficacité de l'Union ? de sa légitimité démocratique ? de sa cohérence dans l'action ? Et ça continue avec le nouvel alinéa 5 du même article :

5. Dans ses relations avec le reste du monde, l'Union affirme et promeut ses valeurs et ses intérêts et contribue à la protection de ses citoyens. Elle contribue à la paix, à la sécurité, au développement durable de la planète, à la solidarité et au respect mutuel entre les peuples, au commerce libre et équitable, à l'élimination de la pauvreté et à la protection des droits de l'homme, en particulier ceux de l'enfant, ainsi qu'au strict respect et au développement du droit international, notamment au respect des principes de la charte des Nations unies.

Regardons l'ancien article 2 (attention à l'indigestion) :

L’Union se donne pour objectifs :

— de promouvoir le progrès économique et social ainsi qu’un niveau d’emploi élevé, et de parvenir à un développement équilibré et durable, notamment par la création d’un espace sans frontières intérieures, par le renforcement de la cohésion économique et sociale et par l’établissement d’une union économique et monétaire comportant, à terme, une monnaie unique, conformément aux dispositions du présent traité,

— d’affirmer son identité sur la scène internationale, notamment par la mise en oeuvre d’une politique étrangère et de sécurité commune, y compris la définition progressive d’une politique de défense commune, qui pourrait conduire à une défense commune, conformément aux dispositions de l’article 17,

— de renforcer la protection des droits et des intérêts des ressortissants de ses États membres par l’instauration d’une citoyenneté de l’Union,

— de maintenir et de développer l’Union en tant qu’espace de liberté, de sécurité et de justice au sein duquel est assurée la libre circulation des personnes, en liaison avec des mesures appropriées en matière de contrôle des frontières extérieures, d’asile, d’immigration ainsi que de prévention de la criminalité et de lutte contre ce phénomène,

— de maintenir intégralement l’acquis communautaire et de le développer afin d’examiner dans quelle mesure les politiques et formes de coopération instaurées par le présent traité devraient être révisées en vue d’assurer l’efficacité des mécanismes et institutions communautaires. Les objectifs de l’Union sont atteints conformément aux dispositions du présent traité, dans les conditions et selon les rythmes qui y sont prévus, dans le respect du principe de subsidiarité tel qu’il est défini à l’article 5 du traité instituant la Communauté européenne.

Cet article 2 avait besoin d'être changé pour répondre aux objectifs du traité, rien que par le fait que l'union économique et monétaire existe, ainsi que la monnaie unique. Au bout de la lecture des modifications faites au préambule et aux deux premiers articles du Traité sur l'Union Européenne (sur 53), on est confronté au problème de communication sur l'Europe. Selon la communication officielle pointant vers ce document, on peut lire (je graisse) :

L'objectif de la Constitution européenne était d'accroître l'efficacité des institutions de l'Union tout en approfondissant leur fonctionnement sur le plan démocratique.

Suite au blocage du processus de ratification consécutif aux « non » en France et aux Pays-Bas au printemps 2005, le problème restait entier et devait être résolu.

C’est précisément cette réponse qu’apporte le traité de Lisbonne, compromis auquel sont finalement parvenus les chefs d’État et de gouvernement dans la capitale portugaise les 18-19 octobre 2007.

Oui, on lit bien "précisément", qui a le même sens que "chirurgical" associé à "frappe". Mais la question est là : avait-on besoin d'un traité qui faisait plus que résoudre cette question ? Si le but de ce traité c'est de pouvoir fonctionner à 27 et plus, est-ce qu'on n'aurait pas dû mettre juste les modifications nécessaires à l'évolution des institutions et des règles de fonctionnement dedans, et voir pour la politique globale plus tard ? Si tant est qu'on puisse appeler les déclarations de principe à la guimauve de la politique globale. Et la question sous-jacente est celle-ci : est-ce que c'était possible techniquement d'une part et politiquement d'autre part ? Si l'une des deux parties de la réponse à cette question est "non", alors on est bel et bien bloqué.

Comments

1. On Monday 16 June 2008, 19:40 by lalou

J'ai tout lu, si, si,du 1er au dernier mot...décidément ce n'est pas mon truc mm si l'enjeu est important !

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