Comprendre l'informatique avec l'héraldique

Parti : écartelé en sautoir ; au premier, d'azur chargé d'un écusson d'or à la croix de sable ; au deuxième, d'or à l'écureuil assis de gueules ; au troisième, aussi d'or au pin coupé de sinople au tronc de sable ; au quatrième, d'azur à la nef équipée et habillée d'argent voguant sur une mer du même mouvant de la pointe.

Cette description textuelle ne vous parle sans doute pas, par contre elle est normalement évocatrice d'images pour la personne pratiquant l'héraldique. On parlera volontiers pour ces vocabulaires et structures spécialisés de langage cryptique, cryptique, crypté, le premier parallèle ? Pas encore. Cryptique, qui est caché, qui n'est pas immédiatement compréhensible, déchiffrable ou identifiable. Déchiffrable, qui peut être traduit en clair, le plus souvent parce que la source à été chiffrée, transcrite en chiffres, ou en digits comme disent les anglophones. Pourtant pas de chiffres au sens propre ici, seulement un langage inconnu, pour lequel on se doute que chaque tournure, chaque mot, signifie quelque chose pour celui qui en a la connaissance, et va lui permettre de se construire une représentation, une image.

Les vocabulaires spécialisés ne datent pas de l'informatique, et s'ils suscitent généralement le mépris de la foule intelligente qui hurle à l'élitisme dès qu'un de ceux-ci est utilisé, il n'empêche qu'ils pavent nos domaines scientifiques : anatomie, botanique, génie militaire, génie civil, architecture, métiers de bouche, menuiserie... Pensez à n'importe quel domaine où la rapidité et la précision de la communication sont de mise, et vous aurez un vocabulaire spécifique. Le consulting ne fait évidemment pas parti de ces domaines : il ne faut pas confondre vocabulaire spécifique et enfumage à base d'anglicismes. Et n'oublions pas que l'informatique au sens de la French Tech est plus proche du consulting qu'autre chose. Revenons-en à nos moutons électroniques et à leurs rêves. Si ces vocabulaires spécifiques sont utilisés, c'est qu'ils sont utilisables et qu'ils améliorent le travail de leurs locuteurs. C'est un truisme certes, mais dans un monde éveillé à la post-vérité, il est important de ne pas passer à côté des choses simples.

On pourrait disserter à loisir sur la construction de ces vocabulaires, par analogie physique, par proximité sémantique, rarement par purs néologismes déracinés. Au fond peu importe la construction du mot à partir du moment où il devient un symbole mémorisable : les docteurs en médecine sont-ils vraiment versés en latin ? les programmeurs sont-ils vraiment connaisseurs des techniques de charpente et de tissage ? Vraisemblablement pas suffisamment pour reconstruire ces vocabulaires : c'est heureux, leur intérêt réside dans leur stabilité, pas dans la déconstruction permanente. Cette stabilité est matérialisée par ces symboles, qui ne sont pas directement porteur de sens, mais qui permettent de ne pas se perdre dans une narration ou un raisonnement ; ces symboles sont des marqueurs, des points de repère.

Que peut-on faire une fois qu'on s'est mis d'accord sur un vocabulaire spécifique, ou encore plus simplement sur une symbolique ? Énormément de choses. Par exemple en mathématiques on peut passer de l'arithmétique au calcul formel. En logique on peut passer à la logique symbolique (dont un des initiateurs est George Boole, bien connu des informaticiens, et pas que les amateurs de pétanque). Et si les calculateurs programmables dont on dispose nous permettaient d'aller au-delà des nombres et de travailler avec des symboles ? Ne pourrait-on pas dépasser la simple tenue d'un livre de comptes ? C'est ce qu'on fait Newell, Simon and Shaw en 1956 en écrivant le programme Logic Theorist, qui avait pour but de démontrer des théorèmes mathématiques par exploration d'arbres de raisonnement.

Pour faire cela, on utilise le calculateur pour manipuler des symboles, ce qui se fait assez simplement en affectant des noms à des nombres particuliers. Si je vous parle du nombre 65, ça n'évoquera sans doute rien de spécial pour vous ; pourtant, depuis une soixantaine d'années, c'est le nombre couramment associé au symbole "A majuscule". Les lettres ne sont rien de spécial pour un ordinateur, et encore moins la différence majuscule / minuscule, ça n'intéresse que les humains. Pourtant l'ordinateur permet de manipuler du texte, il permet d'effectuer des calculs sur des nombres placés dans des cases mémoires, et de temps en temps ces nombres sont transmis à des périphériques. Dans ces périphériques on trouve l'écran, un dispositif électronique qui nous restitue quelque chose que visuellement nous identifions comme un A, l'ordinateur pendant ce temps n'a manipulé qu'un nombre, le 65.

Par établissement de cartes de correspondance entre ces symboles et des nombres, puis par réutilisation de ces symboles pour créer d'autres symboles, on rentre dans le monde du numérique : tout est chiffre, même si nous avons l'impression de manipuler des concepts ou du texte. Le monde du numérique est infiniment plus profond que ce que le barbarisme digitalisation laisse entendre : il ne s'agit pas en effet d'introduire ses doigts on ne sait où, mais de profiter de ces strates cartographiques de symboles pour que ce qui fait sens pour l'humain puisse être accompagné par l'informatique. Ou bien l'inverse ?

L'informatique peut être définie comme la science du traitement logique et automatique du support des connaissances et des communications humaines, à savoir : l'information. Pour cela l'ordinateur, notre plus grande aide matérielle dans cette tâche, n'a pas besoin d'avoir la connaissance, ni de savoir réellement ce qu'est une communication : ces deux termes s'appliquent à l'humain, pas à la machine. De même l'informaticien n'a pas réellement besoin des connaissances manipulées, sinon les programmes de comptabilité n'existeraient pas, car comme on le sait, la comptabilité relève plus de l'ésotérisme que de la logique. Par contre, l'informaticien a besoin de connaître les symboles et la logique associés au domaine qu'il souhaite traiter, quitte à participer à une création de ceux-ci s'il n'y en a pas suffisamment de pré-existant. Sans ces éléments, on ne peut aboutir à l'heure actuelle à automatiser les traitements, c'est-à-dire à fournir à travers diverses couches symboliques des séries de chiffres à faire manipuler par les différents processeurs.

A l'avenir qu'en sera-t-il ? Pour l'instant les intelligences artificielles se contentent de s'appuyer sur une symbologie pré-existante, mais permettent dans une certaine mesure à ne pas avoir à décrire la logique associée. Ce sont les mécanismes d'entraînement qui vont permettre de capturer un comportement à travers des centaines, milliers, milliards d'exemples comportementaux. Ceci en espérant que la symbologie fournie est cohérente par rapport aux comportements que l'ont cherche à faire reproduire par ces modèles entraînés. Il arrivera sans doute le moment où l'on se contentera de lancer un entraînement général, duquel sortiront des couches de symbologie et des comportements associés, mais pour l'instant nous ne sommes pas arrivés à l'efficacité énergétique du corps humain et en particulier de son cerveau dans cet exercice. Mais le jour où ceci arrivera, seront nous capables d'appréhender ces symbologies inhumaines ?

Parti : écartelé en sautoir ; au premier, d'azur chargé d'un écusson d'or à la croix de sable ; au deuxième, d'or à l'écureuil assis de gueules ; au troisième, aussi d'or au pin coupé de sinople au tronc de sable ; au quatrième, d'azur à la nef équipée et habillée d'argent voguant sur une mer du même mouvant de la pointe.

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