Affordance trompeuse : les bonnes pratiques

À travers la porte-fenêtre je vois le ciel bleu et le Soleil briller ; et pourtant, le terrain est glissant. Les bonnes pratiques sont devenues en effet une coquille d'abalone, un outil chamanique nécessaire, et jugé souvent suffisant, qui va magiquement mettre de l'ordre dans votre vie professionnelle. Qui n'a jamais vu ces petits prospectus promettant l'argent, la chance, le bonheur, les bonnes pratiques et le retour de l'être aimé ?

Dans l'imaginaire des entreprises il existe deux catégories : le bon professionel et le mauvais professionel. Le mauvais professionel pratique son métier, alors que le bon professionel pratique son métier, mais bien, parce qu'il a les bonnes pratiques. C'est la différence primaire entre les deux catégories, et, quelque part, c'est l'évidence même. Qui souhaite réellement être mauvais ? Qui ne veut pas bien exercer son métier ? Personne ! L'avidité de bonnes pratiques devient une démonstration de professionalisme, un marqueur du rayonnement de sa posture par rapport au fameux état de l'art. On ne peut blâmer les gens pour leur bonne pratique volonté, et il doit y avoir quand même quelque chose derrière ces mots, de moins magique, moins incantatoire.

Dave Snowden a créé en 1999 le cadre conceptuel Cynefin sur les épaules des géants, c'est-à-dire en suivant les bonnes pratiques de la recherche de ces domaines scientifiques. Dans ce cadre conceptuel, il définit cinq contextes décisionnels : clair, compliqué, complexe, chaotique et... confus. Le contexte décisionnel clair est caractérisé par une situation stable, et des relations de cause à effet simples ; dans un tel cadre, on peut déterminer quelles sont les meilleures pratiques. Pas les bonnes pratiques, les meilleures. Parce qu'entre deux façons de faire, deux façons d'agir, deux façons de modifier le contexte, comme les relations de cause à effet sont connues, alors ont peut déterminer quelle est la meilleure des deux. Dans le contexte décisionnel compliqué, la situation est connue, mais les relations de cause à effet ne sont pas immédiatement accessibles : il n'y a pas une bonne réponse immédiate, et encore moins une meilleure. On peut néanmoins dans un tel contexte décisionnel analyser plus finement la situation, avoir une évaluation prospective des prises de décision possible, et éventuellement arriver à cataloguer un certain nombre de prises de décisions types en fonction de l'analyse affinée : on entre ici dans le domaine des bonnes pratiques. Ce ne sont pas les meilleures pratiques dans le sens où l'on n'a pas la certitude de ne pas avoir mieux quelque part (sinon on serait dans le domaine clair), mais néanmoins le domaine est suffisamment connu pour dire que dans ce contexte, c'est pas pire (bitte comme disent les germains) de faire de comme ça mon petit bonhomme.

La foule qui est arrivée jusqu'ici s'exclamera que les bonnes pratiques existent donc bien et que je pinaille. Bien sur que non, aucune foule n'étant arrivée jusque là. Le problème ne se situe pas dans l'existence des bonnes pratiques, mais dans la croyance que d'en recevoir une liste va nous faire entrer dans le cénacle de l'expertise. Une bonne pratique a des conditions d'applicabilité, des limitations, des effets secondaires. Une bonne pratique s'active après une phase de diagnostic. Une bonne pratique c'est un médicament intellectuel.

Une bonne pratique, ça n'est pas automatique.


Vous pouvez trouver le reste de la série sous l'article d'introduction.

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